
I. Ce matin, je suis tombé sur « ça », en train de se promener sur le rebord de ma tasse de café. Je n’avais encore jamais rien vu de tel.
II. Après investigations, j’apprends qu’il s’agit de stictocephala bisonia – cicadelle bison ou encore membracide bison sous ses appellations vernaculaires.
III. L’étrange rencontre suscite ma curiosité : je me précipite pour prendre « la chose » en photo.
IV. C’est peu de dire que nous n’avons quasiment rien en commun. Nous sommes vraiment très différents, cette « chose » et moi. On peut dire que Stictocephala bisonia est un•e parfait•e étranger•ère (Morizot parlerait d’alien).
V. Je dirais simplement que nous sommes hétérogènes.
VI. Pour aller vite, on considèrera que deux choses – deux êtres – qui n’ont rien en commun, sont hétérogènes l’un•e à l’autre.
VII. Ni la taille, ni le squelette, ni la peau, ni la forme, ni la nourriture, ni les fonctions, ni les couleurs, ni le mode de reproduction, ni la cognition, ni la communication… Rien !
VIII. Cette hétérogénéité est telle que je ressens une espèce de sidération : on se croirait presque dans un film de science fiction. « Est-ce que ce truc ne serait pas un Pokémon ? »
IX. Passée la sidération, c’est la curiosité qui l’emporte. Et puis la curiosité cède le pas à l’intérêt. L’intérêt au sens où cela m’intéresse, vivement. J’ai très envie de comprendre comment la cicadelle vit, se reproduit, de quoi elle se nourrit, qui se nourrit d’elle, etc.
X. Cet intérêt sincère, je voudrais l’appeler – comme les philosophes grecs – amour (philia). Si je généralise mon expérience, je dirais que cette rencontre du matin suscite un amour de l’hétérogénéité : une hétérophilie.
XI. Ainsi, la leçon du jour, la prise de conscience qui me permet de faire un petit pas supplémentaire dans l’existence, c’est de reconnaître à quel point l’hétérophilie est indispensable pour vivre.
XII. Être hétérophileAdj. Qui aime ce qui est hétérogène. More est nécessaire pour entretenir la curiosité, l’étonnement qui motive l’envie de comprendre, de connaître.
XIII. Mais l’hétérophilie est nécessaire surtout pour rester respectueux, mesuré : on ne fait pas n’importe quoi quand on aime. On contracte un engagement qui dépasse de loin la soif de connaître : celui de prendre soin.
XIV. Ainsi donc, l’hétérophilie désigne ce double élan : curiosité et affection pour ce qui est différent.
XV. La journée se présente bien !… merci chère cicadelle.